Dessiner pour accompagner ou pour faire le malin ?
Quand j’ai commencé à dessiner en direct dans des contextes d’accompagnement, je croyais devoir inventer sur chaque page des gags génialement drôles et parfaitement originaux. Mais j’ai fait ce constat troublant : les dessins les plus impactant, dans un contexte d’accompagnement, sont toujours ceux qui reprennent mot pour mot une phrase prononcée par un participant, et se contentent de l’illustrer.
Osons un petit détour : dans une formation à l’écoute active, les nouveaux stagiaires sont parfois désarçonnés. Ils découvrent que la reformulation parfaite est souvent une répétition mot pour mot de la phrase que l’autre a prononcée, dans le strict respect de ses intonations, de son rythme et de l’émotion qu’il exprime de façon non verbale. En tant qu’accompagnant, on se sent d’abord ridicule à répéter des paroles sans rien y ajouter. Mais il suffit d’expérimenter le rôle de « l’écouté » pour savourer le confort qu’apporte mystérieusement cette attitude : j’entends mes mots répétés, comme un écho infiniment respectueux, comme une invitation très douce à descendre plus profondément en moi-même, à approfondir mon ressenti, à dérouler un peu plus loin le fil de mon cheminement. C’est une expérience positive et troublante.
L’évoquer est utile pour le sujet de l’accompagnement par le dessin, si on ose en transposer les conclusions : la fonction d’un accompagnant par le dessin est souvent de capter ce qui se dit d’essentiel et de le refléter en image, non pour apporter son point de vue personnel et se faire remarquer comme un artiste génial, mais pour inviter l’autre à prendre la mesure de ce qu’il a lui-même exprimé, et l’inviter à aller plus loin.
La PNL (programmation neuro-linguistique) propose de distinguer, dans les attitudes relationnelles, deux critères : êtes-vous « centré sur vous » ou « centré sur l’autre » ? Et faites-vous du « tri sur vous » ou du « tri sur l’autre » ? Ce vocabulaire peut être utile pour notre sujet.
Être « centré sur l’autre », c’est se mettre intérieurement au service de ses besoins. Faire du « tri sur l’autre », c’est n’utiliser que son vocabulaire, ses métaphores, ses analogies, ses images mentales, en s’interdisant d’introduire quoi que ce soit qui lui soit extérieur. Si l’autre dit : « J’ai peur », vous ne répondez pas : « Ah, vous êtes inquiet ? » Parce que, dans le monde de l’autre, « être inquiet » désigne peut-être une toute autre expérience qu’« avoir peur ».
L’accompagnement par le dessin privilégie le « tri sur l’autre ». Le dessinateur n’est pas là pour développer son point de vue, mais pour refléter les propos de ceux qu’il écoute. Cependant, il est impossible de dessiner sans faire aussi du « tri sur soi » : le dessinateur ne répète pas seulement les phrases entendues, il les transpose et les met en scène, il mobilise pour cela des structures, des angles de vue, des codes graphiques puisés ailleurs, dans son expérience personnelle.
L’essentiel, c’est de rester « centré sur l’autre ». Ce qui est difficile ! L’ego nous pousse si fort à nous mettre en avant, à chercher l’admiration, la reconnaissance ! S’abstenir de donner « MA » vision des choses, si elle n’est pas nécessaire, est un effort exigeant, mais fructueux. C’est justement parce que l’écoute active est inhabituelle qu’elle ouvre un espace fertile. Les personnes accompagnées sentent très bien la différence. L’accompagnant est-il là pour les servir ou, même subtilement, être servi ? Accompagner ou… faire le malin ?
Extrait adapté de « PENSER, DESSINER, REVELER – Toutes les méthodes pour accompagner les idées, les équipes et la vie par le dessin » – Etienne Appert – Editions Eyrolles.
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